Chronique du 22 octobre 2022
Oh non ! Pas
de la poésie !
Être
Je suis de mots, de pensées sans fin,
De réflexions distraites voguant à mon épaule.
Je suis de nœuds, d'écorce, de loups,
De crocs et de feuilles, de fougère envahi.
Je suis de vent, de lointain, de retour,
De départs imprévus, de virevoltes bohèmes.
Je suis de flèches, de bivouacs, de rivières,
De sons de la forêt et de danses de la pluie.
Je suis de peau, de poil, d'air et d'eau,
De tabac et de bière, de voyage, de silence.
Je suis d'ici, de là ou d'ailleurs, de partout,
De nulle part, d'une adresse qui passe.
Je suis d'oiseaux, de migrations insensées,
De nids, de voiliers de canards avides de chaleur.
Je suis de soleil, de marées et de vagues
De plages brûlantes, de bain de nuit en plein été.
Je suis de vacances, de fêtes et de plaisir,
De danses et de chansons, de guitares, de violons.
Je suis de moi, d'en dedans, d'un intérieur de porte ouverte,
De mes deux bras déployés.
Tiré de Poésie en trois temps / Forêt de soi 1
Ma comète
Noyé dans les montagnes
Pour seul ami le vent
Je vivote, invisible dans les vieilles cités
Étourdi, comme un spectre égaré
Mon vaisseau dans le désert
Cherche un port, un foyer
J’ai beau scruter les étoiles
Mais la voûte est un vide néant noir
Que cette comète blonde
Qui dans mon cœur partage l’espace
Que cet objet céleste qui ravive mon univers
Que cette étoile précieuse essentielle à ma vie
Et je déambule sans but
Chien errant affamé d’espoir
Les lunes défilent, les heures s’étiolent
Et je n’ai que le sommeil pour oublier
Les mondes défilent sous mes pas
Mais rien ne soulage ma douleur
Que cette étoile d’or
Souvenir qui apaise mon âme
Que cette comète de feu
Comme lumière pour mon karma gris
Je remonte dans ma pirogue
Attire vers moi l’inconnu
Sans scénario, sans boussole
Porté par les bras du vent
Espérant arriver un matin
À ce quelque part fait pour ma vie
Où je pourrai, quel rêve enfin
Y inviter la comète pour la vie
Dans un ciel constellé d’amour
Dans notre firmament à nous
Tiré de La comète blonde (Inédit)
L’esseulée
La solitude est à la table
Avec son seul napperon
Les ustensiles gisent amiables
Son couvert est moribond
Elle n’a que de parole
Le silence lui répond
Que des fleurs, la corolle
Que des plats le bord rond
Elle se ressert à boire
Et trinque sur elle-même
La bouteille seul espoir
Seule ici qui rit qui aime
Et la main, berçant la coupe
Soudain, cesse sa course
Et l’esseulée oublie la soupe
Et distille sa ressource
Sans écho, sans face-à-face
Sans va-et-vient, sans dialogue
Comment connaître une autre race
Comment résoudre l’épilogue
La solitude est à la table
Elle grignote les restes du temps
Comme sur la plage, le sable
Les souvenirs jonchent le plan
Le verre flotte toujours avec le vin
La convive unique regrette le passé
Les hiers défilent du début au destin
D’être seule en une montagne amassée
Elle engloutit son vin en un doux remous
Le présent est trop lourd sous le plomb du passé
Les lendemains sont seuls, la porte a le verrou
L’attablée n’attend personne, la maison est cloitrée
Le flot vermeil vide enfin la raison
Les empreintes du passé enfin s’embrument
Elle oublie les heurts, les rancœurs, les saisons
Elle ne voit plus l’exigu qui la résume
Tiré de Tableaux (inédit)
La rivière pleure
Je n’attendrai plus personne
Elle a quitté la demeure
Il y a les loups qui chantent au loin
Et le vieil ours gratte un sapin
La lune bleuit la nouvelle neige
Qui efface mon amour
Je n’attendrai plus personne
Son âme a franchi le détour
Et le feu lentement s’éteint
Les braises se subliment en cendre
Et tout autour refroidit
La forêt sait qu’elle est partie
Le hibou n’ouvre plus les yeux
La chouette hulule en susurrant
L’alouette baisse ses ailes
Le grand-duc fait la moue
Même le vent ne souffle plus
La rivière pleure dans son lit
Les arbres craquent de malheur
Un étrange silence s’installe
Le renard rôde autour
Il a entendu ma douleur
Et le froid doucement m’envahit
Du dehors jusqu’au fond du cœur
Je n’attendrai plus personne
Elle est partie avec ma vie
J’ouvre la porte pour qu’une fois mort
La forêt se nourrisse de mon corps
Et auprès du grand Manitou
Je me rappellerai les joues
De celle qui m’a abandonné
De celle que je n’attendrai plus
Maintenant je chante avec les loups
Je suis devenu la rivière
Je vois par les yeux du hibou
Je murmure avec la chouette
Tu m’as quitté, je ne suis plus
Que tout ce qui t’entoure
Je serai toujours là près de toi
Je suis dans tout et dans rien
Tu ne pourras plus me laisser
Car je serai même sous tes pas
Sans que tu le saches, tu seras là
Pour toujours entre mes bras.
Tiré de Amour démembré / La rivière pleure 2
Existentionalisme et moë
Impossibilité alphabétique,
Anticonstitutionnalité analytique
Articulation rituellement décortiquée
Tangibilité anachronique
Rationalisation méridionnée
Fachisité réalistique
Européisation moléculaire
Cavité désaxionnaire
Du dictionnaire
Des zones stratosphériques
Qu'on maléfie en artifice,
Dans mille bains bactérionnaires
Québec au Q démantibulé, bullé, brûlé,
Québec aux ptites urées, urées, usées,
Qu'on traîne en boue, en sloche humide,
Qui s'désagrège et s'déshabille,
En millier d'images pornographiques
Qu'on vend, qu'on achète, qu'on bouffe
Comme ces beaux collets blancs du Bell
Et ces cravates plastiques, hydroponiques
Qu'on trouve aux cous des dollars humains.
Ceux qui respirent des cennes noires
Pour cracher des trente sous
Dans la face des pouilleux
Ceux qui fument d'la dope
Rien que pour détruire le monde
Ceux qui prennent d'l'acide
Rien que pour triper au nom de la loi
Les beaux straight-narcs à la moustache
Shinée comme leurs beaux souliers du dimanche
Les souliers qu'ils prennent pour écraser
Les plans d'pot des crottés
Québec de joie
Québec de joint
Roulé avec deux papiers export
Bin roulé comme les Anglais y roulent the world
Un joint de grain syphilitique
Un joint de vieilles branches
Des vielles branches, comme toë mon chum
Mon chum de trip, mon pays ami
Si ami que l'amitié n'en peut plus
Et ramène la réalité
Tout comme cette bonne vieille sloche humide
Qui t'rappelle le pays en t'mouillant les orteils
Comme pour garder nets tes doigts de pied
Doigts de pieds plats, aux genoux cagneux
Comme les ptits cors
Aux pieds des vieux
Ceux qui ont oublié de fêter
Quand le beau temps était pour eux
Pour eux les vieux que nous serons
Avec nos cannes de bières et notre pipée de Québécois
Tiré de Poésie en trois temps / Hybride 3
Caller l’orignal
Je bavasse
Je bêche
Je barre la porte
J’attache mon jacket
J’ai le cœur gros
J’ai le cœur dans bouche
Je baragouine
Je chauffe
Je braque
Je park
Je débarque
Je braille un peu
Je chiale
Je brosse
Je saoule
Je flippe
Je capote
Je perds le Nord
Je call l’orignal
Je m’évache
Je chicane
J’enfirouape
Je baboune
Je crouze
Je mange une claque
J’écrapoutis
Je rebêche
Je braille
Je me tanne
Je me déprends
J’en ai en masse
Je suis tiguidou
Je prends une marche
Je garde mes shorts
Je mange pas mes bas
Je prends mon gaz
Je tords pas des bras
Je capote pas
Je pogne pas les nerfs
Je brise mes chaînes
J’envoye promener
J’envoye donc
Je fais des sparages
Je me mets un plasteur
Je me pogne une patate
Je me patente un cossin
Je mets ma tuque, mes mitaines
Je va aller voir une bonne vue
Je va amener mon pitou
Je va m’faire une peignure
J’me peigne sua véranda
Je va me mette sul piton
Je va chausser mes chouclaques
Je va attendre sul perron
Je va boire une liqueure
Je va enlever mes barniques
Je va placer ma calotte
Je va flatter ma bedaine
Je va attende ma blonde
Je va faire des bidous
Je va faire la piasse
Je va faire du cash
Je va avoir des flots
Je va avoir un bazou
Je va boire de la bonne broue
Je va partir sa balloune
Je va brosser
Je va saouler
Je va flipper
Je va pu avoir un sou
Je va capoter
Je va perdre le Nord
Je va bêcher, caller l’orignal encore.
Tiré de Kicker la canisse / Caller l’orignal 4
Merci aussi à ceux qui n’ont pas lu.
1 Poésie en trois temps / Forêt de soi
2 Amour démembré / La rivière pleure
3 Poésie en trois temps / Hybride
4 Kicker la canisse / Caller l’orignal
RÉFÉRENCES
Pour faire changement, un peu de poésie. Six poèmes de factures et de temps différents. Six tricots de mots, tissus de sentiments, toiles d’émotions sibyllines. En prime un poème en québécois.