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René Goyette

Bile céleste


Pour se changer les idées, voici l'histoire d'Aurélien, l'astronaute. Une aventure insolite qui donne faim.

 

L'aérolithe arrive tout droit sur le vaisseau. Le profes­seur coupe complètement l'alimentation du réacteur de gauche; il est immédiatement projeté au mur par la poussée du virage. La météorite croise la trajectoire de l'appareil qui tourne maintenant de toute évidence hors de contrôle. En effet, le professeur, luttant contre la force centrifuge, essaie de rejoindre le siège de pilotage, sur lequel il aurait dû se trouver en premier lieu.


La parabole qu'accomplit la fusée traverse un système solaire à sept lunes. L'ordina­teur ne tarde pas à sonner l'alarme, tout comme dans le cas de la météorite. Aurélien, dans un effort surhumain, réussit à agripper le tronc du fauteuil. Les alertes lumineu­ses clignotent, maintenant au rouge; les sonneries d'abandon retentissent.


Au même moment, le professeur Teabag appuie sur l'arrêt de secours. Tout se passe très vite, le long siffle­ment du réacteur droit s'éteignant, puis le ralentissement de compen­sation des rétros-fusées. En s'érigeant sur sa chaise, Teabag est déséquilibré ; le vaisseau est en chute libre, attiré par l'attraction d'une planète que le pilote voit grossir droit devant. La chute est tellement rapide que même les réflexes semblent lents. Aurélien tente de ramener l'appa­reil. En un geste, il boucle sa ceinture, il a eu sa leçon plus tôt. Les panneaux avant craquent, comme si le nez voulait se retrous­ser.


Mais hélas, il est trop tard; la manœuvre ne fait qu'adoucir l'impact. Le dessous du nez frappe en premier, la fusée culbute puis tourne de côté, complétant une dizaine de révolutions avant de s'immobiliser, à l'envers.


Aurélien s'éveille, sa tête veut exploser. Le plancher devenu le plafond, il est suspendu, la tête en bas, attaché à son fauteuil. Se tenant au dossier, il détache sa ceinture et tombe violemment. Le sang redescend de son cerveau; ce n'est qu'à ce moment qu'il retrouve ses esprits. La météorite, les lunes, l'écrasement; tout s'est passé si vite. Sous le choc le sas s'est ouvert laissant la cabine s'emplir d'un sable jaunâtre. Par chance, l'atmosphère est respirable.


Un coup d'oeil rapide permet à Aurélien de constater les dommages majeurs. Le devant de l'appareil s'est brisé et une grande ouverture rend visible un gros faisceau de fils déchiquetés. La plupart des voyants sont en miettes, mais le hublot avant est intact.


Le professeur laisse échapper un juron; tout est la faute de cette maudite météorite. Pourtant, il sait bien que s'il avait été à son poste, rien de tel ne se serait produit.


Il prend donc le sac à dos de secours puis part explorer la planète. L'enfoncement dans le sable fin ralentit sa marche. Tout à coup il s'engloutit dans le sol qui s'ouvre sous ses pieds; il tombe pendant de longues secondes. Finalement, il touche le fond, il s'y enfonce puis rebondit comme sur un tremplin. Après quelques sauts, il se rétablit; il fait noir, ses yeux ne peuvent percer l'obscurité.


Il marche à quatre pattes, tâtant d'une main. Soudain la toile devient molle comme si elle fondait. Aurélien sent qu'il tombe à nouveau, il cherche à s'agripper, mais il n'y a plus rien de consistant. Il chute, le cœur rempli de désespoir.


Après une descente qui paraît éternelle, il plonge dans un liquide visqueux. Par réflexes naturels, il trouve la sur­face. Une lumière rosée perce d'une ouverture plus loin.


Teabag nage, effrayé à l'idée que quelques monstres pour­raient habiter ces eaux étranges. Le rivage se compose de matière spongieuse, semblable à la peau; Aurélien s'y hisse souplement. Il se dirige aussitôt vers la lumière. Le sol est recouvert d'une sorte d'herbe poilue. La cavité lumineuse s'ouvre au bas du mur, Aurélien y pénètre en baissant la tête. Le tunnel conduit à une grande salle voûtée. Le plafond se trouve à une trentaine de mètres et l'éclairage n'a aucune source évi­dente.


L'entrée du tunnel se trouve un peu en bas du fond de la grande salle. Un petit lac se forme maintenant à l'entrée du passage. Devant la croissance évidente du lac, Teabag monte sur le plancher. Le sol est couvert de genre de coraux flexibles d'allure plus organique que végétale. En regardant de plus près, on peut voir que les choses sécrètent un liquide qui, par mille petits canaux, coule vers l'entrée du corridor.


Après une dizaine de minutes, l'entrée se ferme comme un gros muscle orbiculaire. Le liquide gluant monte jusqu'au dessus de l'ouverture; puis le muscle se détend et toute la substance s'engouffre pour se jeter dans le lac où Aurélien a nagé. Complètement déboussolé, le professeur se met en devoir de visiter la grotte souterraine.


Il commence à avoir faim; aussi sent‑il très rapidement l'odeur de grillade flottant dans l'air. Son nez, comme un radar, l'oriente vers une entrée semblable à celle d'où il est venu. Il y entre; le corridor est beaucoup plus long que le précédent et la senteur de viande cuite devient de plus en plus précise. Il débouche dans une autre grande salle, encore plus gigantesque que la première.


À la grande surprise de Aurélien, en plein milieu de la plaine, il y a un gros C B jaune, dressé sur une bonne soixantaine de mètres de haut. Aurélien Teabag n'en revient pas: tout comme sur terre, on croit qu'on est perdu au milieu de nulle part et POP un « Céleste‑Burger ». C'est extraordi­naire, se dit‑il. Il se met donc à courir, fouillant dans ses poches pour trouver de la monnaie.

Le bâtiment qui siège à côté du grand C B adopte la forme classique prescrite par la compagnie. Le professeur Teabag y entre aussi essoufflé qu'excité. Le serveur, portant l'uniforme habituel, se penche et demande à Teabag ce qu'il veut. Aurélien répond qu'il n'a que cinq dollars. Le garçon réplique que c'est suffisant pour se payer un BigCiel, une petite frite et un petit Pepsi. Teabag lui dit que c'est parfait et de faire vite parce qu'il est affamé.


Après avoir communiqué la commande à la cuisine, l'employé se tourne et demande à Aurélien ce qu'il fait dans l'Estomac du Nord. Teabag lui dit qu'il y est tombé comme un cheveu sur la soupe; le serveur rit...

Le professeur sort donc et s'asseyant par terre, il commence à manger son Big Ciel. À la première bouchée, il devient tout étourdi. À la deuxième il échappe tout et est pris de convul­sions; sa peau devient verte et il meurt.


Le garçon du Céleste sort avec le cuisinier, ils poussent le cadavre dans le lac à l'entrée du corridor. La substance salivaire enrobe le corps puis quand le niveau est assez haut, le muscle se détend et tout est englouti. Le serveur dit au cuisinier: « Dure saison, ce n'est pas cette année que la planète va engraisser... ».


Merci aussi à ceux qui n’ont pas lu.


 



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