Vendredi 13h, il fait chaud. Ayant une petite faim, Luc attend dans la file du service à l’auto de Macdonald. Dix minutes plus tard, il atteint le panneau du menu où l’on donne sa commande.
Par le petit haut-parleur, on entend la voix nasillarde de la préposée.
Préposée : Bonjour, est-ce que je peux prendre votre commande ?
Luc : Je veux une patate
Préposée : La voulez-vous en trio ?
Luc : Non, juste une patate.
Préposée : Ok, la voulez-vous en coupe régulière, ondulée, épicée ou grecque ?
Luc : Juste une patate ordinaire.
Préposée : Donc, en coupe régulière ?
Luc : Oui.
Préposée : Voulez-vous un breuvage avec ça ?
Luc : Non, juste une patate.
Préposée : Voulez-vous du sel, du ketchup ou du vinaigre ?
Luc : Non, juste une patate.
Préposée : Voulez-vous un chausson avec ça ?
Luc : Non, juste une ostie de patate.
Préposée : S’il vous plait, monsieur, restez poli.
Luc : Sybole, je veux juste une criss de patate.
Préposée : Écoutez monsieur, nous n’acceptons aucune forme de violence que ce soit physique ou psychologique. Voulez-vous donner des sous pour l’Opération Enfant-soleil ?
Luc : Non, je veux juste une kalisse de patate. Viarge, va-t-il falloir que j’aille me la faire moi-même ? Y a-t-il quelqu’un qui peut me servir sans me lire le menu au complet ?
Préposée : Vous voulez insinuer que je suis incompétente ?
Luc : Simoniake, si vous continuez à me niaiser, je vais me fâcher.
Préposée : Devant votre attitude inacceptable, je vous réfère au gérant.
Gérant : Bonjour, monsieur, on me dit qu’il y a un problème ici.
Luc : Non, je veux juste une patate.
Gérant : Mais vous n’êtes pas obligé d’être agressif pour cela.
Luc : Ok, je m’excuse. Est-ce qu’on peut repartir à zéro ?
Gérant : Oui, bien sûr. Quelle est votre commande ?
Luc : Je veux une patate.
Gérant : La voulez-vous en trio ?
Luc : Non, juste une patate.
Préposée : Ok, la voulez-vous en coupe régulière, ondulée, épicée ou grecque ?
Luc : Juste une patate ordinaire. Ne me demandez rien d’autre, juste une patate. C’est dont bien compliqué.
Gérant : Pardon, monsieur, ce n’est pas compliqué, on fait notre travail.
Luc : Alors donnez-moi ma kriss de patate, viarge !
À ce moment-là, les automobilistes dans la file commencent à klaxonner d’impatience.
Gérant : Monsieur, il n’y a aucune raison d’être violent
Luc : Si ça continue, je vais aller la chercher dans la friteuse ma baptême de patate.
Gérant : C’en est assez monsieur, sortez de la file et stationnez-vous là en face. On ira vous porter votre commande.
Luc : Finalement. Vous êtes pas facile à suivre.
Luc déplace son véhicule à l’endroit désigné. Soudain, on entend des sirènes. Deux voitures-patrouilles de police et une ambulance entrent sur le terrain du restaurant. Les véhicules des policiers se placent derrière la voiture de Luc, l’empêchant de bouger. L’ambulance se place en face de la sortie des employés.
Les quatre policiers sortent des véhicules et se placent sur chaque côté de la voiture de Luc. Celui qui se trouve près de la porte du chauffeur dit :
Policier : Monsieur, montrez-moi vos papiers s’il vous plaît.
Luc : Pourquoi, qu’est-ce que j’ai fait de mal ?
Policier : Nous avons reçu une plainte au sujet d’une éventuelle agression d’une employée du restaurant
Luc : Bin voyons donc, c’est un malentendu…
Policier : Arrêtez tout de suite monsieur et montrez-moi vos papiers
Luc : J’ai rien fait de mal. Êtes-vous sérieux ?
Policier : Bon, c’est assez, sortez immédiatement du véhicule
Voyant que Luc hésite, le policier approche sa main vers la poignée de la portière au même moment où Luc l’ouvre. La porte frappe la main de l’agent qui recule en tenant sa main. Croyant à un assaut, les trois autres policiers sautent sur le pseudo récalcitrant et le couchent au sol. Les badauds commencent à s’accumuler; il y en a qui sont sortis avec le hamburger à la main. La scène est bombardée par des dizaines de caméras de téléphone.
Luc : Calmez-vous, c’est sûrement une erreur. Est-ce une blague, la caméra cachée ?
Policier se tenant la main : Vous croyez qu’on est là pour s’amuser ?
Luc : C’est juste que c’est exagéré.
Policier aux autres policiers : Ok les gars, on l’embarque. Mettez-lui les menottes et soyez prudents il pourrait essayer de vous agresser vous aussi.
Puis les agents se saisissent de Luc et le jettent dans une des patrouilles.
Luc : Où m’amenez-vous ?
Policier au volant : On vous amène au poste. Après on verra.
Luc : Au moins, dites-moi de quoi vous m’accusez au juste
Policier au volant : Vous êtes accusé de violence psychologique, d’agression verbale, de menace, de voie de fait sur un agent des forces de l’ordre, d’outrage à un agent de la paix. Pour tout de suite.
Luc : Comment pour tout de suite ?
Policier au volant : Nous attendons les nouvelles de la victime
Luc : La victime ?
Le policier sur le siège passager prend le micro : Voiture 42 au Central.
Central : Oui voiture 42
Policier : Avez-vous des nouvelles de la victime du Macdonald ?
Central : Oui, la préposée vient d’arriver au Centre Hospitalier où elle recevra des soins physiques et psychologiques. Après l’agression, elle a fait une crise de panique, elle est tombée au sol où elle a ensuite fait une crise d’épilepsie. On n’est pas certain si on craint pour sa vie. Vous avez le criminel ?
Policier : Oui, on a réussi à le maîtriser, heureusement qu’on était trois. Est-ce qu’on l’apporte au poste ?
Central : Non, il est certain qu’il sera accusé au criminel. Apportez-le plutôt à la prison Talbot. Il devra y attendre jusqu’à lundi afin de passer devant le juge qui reviendra de sa fin de semaine de pêche.
Policier : Ok, pouvez-vous demander à l’établissement carcéral de mobiliser les forces spéciales afin de bien maîtriser l’assaillant ?
Central : Ok, on l’attendra de pied ferme. Comment se porte le sergent Boileau ?
Policier : Il est très pâle, sa main est bleue, mais on ne croit pas qu’il sera amputé.
Central : Laissez-le donc à la salle d’urgence avant d’aller à la prison.
Policier : Ok, d’accord.
Luc : Bin voyons donc, c’est pas sérieux
Les deux policiers à l’unisson : Ta gueule.
Arrivé à la prison, Luc, encadré par deux des policiers, est accueilli par trois gardiens costauds armés. Il est poussé dans le petit portail détecteur de métal. Rien n’étant repéré, on le fait se déshabiller pour la fouille complète. On met ses quelques effets personnels dans une enveloppe brune et on lui remet une petite pile de vêtements orange. On le conduit ensuite vers une cellule où on le pousse violemment. La porte de fer est fermée avec fracas. Luc enfile la combinaison orange dont le dos arbore un rectangle de tissu blanc sur lequel est écrit :
ATTENTION
DÉTENU AGRESSIF
Dans la cellule adjacente se trouve un homme en complet déchiré. Luc se tourne vers lui et celui-ci dit :
Autre prisonnier : Qu’est-ce que t’as fait ?
Luc : Ah, c’est un malentendu. Une petite prise de bec qui est exagérément devenue un drame. Et toi ?
Autre prisonnier : Moi, tu vas pas me croire, mais c’est arrivé dans un restaurant. J’y suis entré à 11h01 et j’ai demandé un déjeuner. La serveuse m’a dit que les déjeuners terminent à 11h. J’ai insisté en plaidant qu’il n’y avait qu’une minute de passé. Je pointai le cuisinier en train de faire cuire des œufs et du bacon et je lui ai dit qu’il n’aurait qu’à ajouter ma commande.
La serveuse leva le ton et me dit que la règle c’est la règle et que si je n’étais pas content, d’aller ailleurs. Je lui répondis de se calmer mais que je trouvais que c’était exagéré. C’est là qu’elle éclata en sanglots et courut à la cuisine. Trois secondes plus tard, le gros et grand cuisinier se rua à ma table.
Il commença à me crier après, me hurlant que je ne savais pas lire et qu’il en avait jusque-là (mettant sa main à l’horizontale à la hauteur de son front) des clients qui savent pas vivre. Quand je lui dis de ne pas prendre les nerfs, son visage s’empourpre, la broue lui monte à la bouche et il s’effondre par terre en convulsions. Ensuite, la police, l’ambulance et me voici ici.
Luc : Quelle histoire, ça enlève le goût d’aller au restaurant.
À 17h, deux gardiens viennent ouvrir les cellules afin de permettre aux détenus d’aller souper. Mais pour Luc, c’est différent, on lui passe des chaînes aux pieds afin qu’il ne puisse courir. Marchant à petits pas, il suit la file vers le réfectoire.
La cafétéria est une grande salle occupée par une cinquantaine de tables. Il y a une ouverture dans le mur de gauche d’où on perçoit la cuisine en arrière-plan. Devant l’ouverture, il y a un comptoir où se trouvent les préposés à la distribution des repas. Une longue glissière permet de déposer les cabarets qu’on pousse de gauche à droite devant les préposés afin de recevoir la nourriture.
Quand Luc arrive finalement devant le préposé, celui-ci lui demande :
Préposé : Tu veux du poulet ou du bœuf ?
Luc : Je veux juste une patate.
Merci aussi à ceux qui n’ont pas lu.
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