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L’agonie du français



On n’a pas besoin d’être un expert pour se rendre compte de l’infiltration incontestable de l’anglais dans la langue française. La francophonie décline, sa fin semble incontournable. Parlerons-nous tous anglais avant la fin de ce monde ?


Les langues changent, évoluent à travers les siècles. En mille ans, le latin s’est muté en français moderne. En faisant une extrapolation de la situation du glissement évident du français vers l’anglais, on peut se demander quand se produira le point de rupture; le moment où la langue anglaise occupera plus soixante-quinze pour cent du discours en français.


Le bel anglais

Au départ, mentionnons que cette chronique ne porte aucun jugement sur la langue anglaise en tant que telle. Toutefois, il est important de discerner ici les deux « versions » de l’anglais : l’américain et le britannique. Il semble que c’est majoritairement l’anglais américain qui tend à s’étendre dans le monde.


La tentative d’implanter l’espéranto comme langue internationale fut un échec en grande partie parce que l’américain avait déjà dépassé l’implantation de toute autre langue comme langue d’échange internationale. Il faut bien dire que l’anglais est une langue « facile » si on la compare au français. Un exemple parmi tant d’autres, l’absence des genres dans les noms communs et les déterminants :

a horse = un cheval

a turtle = une tortue

a nice girl = une belle fille

a nice boy = un beau garçon

La fusion des sujets tu et vous en you simplifie encore plus l’apprentissage.


L’expansion coloniale

Quand on cherche comment la langue anglaise a réussi à s’imposer comme langue internationale, on tombe immédiatement sur des motifs commerciaux, mercantiles. Pour être clair, le mercantilisme et l’appât du gain furent les moteurs de l’expansion de l’anglais dans le monde.

Les pays investis par les États-Unis.

Le fait que les États-Unis sont devenus rapidement une puissance mondiale les conduisit partout sur la planète où il y avait quelque chose à acheter. Et, partout où ils allaient, ils parlaient seulement anglais. Le billet vert apprit vite au monde à dire « please » et « thank you ».


L’assimilation parfaite

La dispersion de milliers de noms en anglais sur des produits de consommation courante laisse entrevoir une des facettes primordiales de la contamination de l’anglais dans la langue usuelle. Et cette infiltration ne se retrouve pas que dans la langue française. Beaucoup de pays dans le monde voient fréquemment s’ajouter de l’anglais à leur langue maternelle.


L’exemple du Québec

Au Canada, la province de Québec est la seule des onze provinces dont la langue officielle est le français. Noyée dans une mer anglophone, la francophonie de ce petit État se prête bien à l’analyse de l’agonie potentielle de la langue de Molière et de Vigneault.



Il est ici important de noter qu’il y a deux Québec : Montréal et le reste du Québec. En général, dans le Québec des « régions » la plupart des gens parlent français. Mais à Montréal (3,8 millions)1, il y a beaucoup d’endroits où l’on ne parle ni ne comprend le français. De sorte que beaucoup d’entreprises de la province et du pays s’affichent en anglais, perdant ainsi un contact intime avec la langue québécoise et ceux qui la parlent.


Le respect, pas payant ?

Toujours au Québec, la prédominance des enseignes et des marques commerciales en anglais présuppose que tout le monde comprend l'idiome. Les Canadiens anglais (et les Américains) n’ont aucun scrupule à diffuser des bannières en anglais qui, parfois, sont incompréhensibles pour les locuteurs francophones.


Comme si les consommateurs francophones, en trop faible minorité, ne méritaient pas d'efforts de marketing dans leur propre langue. Résultats : le marché québécois est inondé de noms de produits et d'affiches en anglais.


Il faut préciser que le français québécois a, depuis cinquante ans, beaucoup évolué. On y a éliminé beaucoup d’anglicismes et les contemporains ont une plus grande considération pour un français correct. Mais, même si l’on parle bien français grammaticalement, l’abondance de termes en anglais déséquilibre le message et déstabilise les concepts.


Parce qu’il ne faut pas oublier que dans la transition d’une langue à une autre, il y a automatiquement un changement de concepts, de visions. Le meilleur exemple de cela est de traduire une blague d’une langue à une autre pour se rendre compte que ce n’est plus drôle et que ça devient même incompréhensible selon la culture.

Traduire, c’est trahir ?

Si l’on en croit le célèbre adage italien « traduttore, traditore » (traducteur, traître), la réalité est parfois très difficile à transposer d’une langue à l’autre.

Jean-Benoît Nadeau2


Du franglais ?

Mais, même si on parle bien français au Québec, on obtient ce genre de récit :

Pierre se lève le matin, il se prépare un café Maxwell House avec sa machine Perfect Brewer. Il sirote un plein verre de jus Sunkist. Il monte dans sa Forester Special Edition. Il syntonise Spotify sur son IPhone. Il a planifié quelques emplettes. Il s’arrêtera donc au Canadian Tire, au Walmart, au Toy’rUs et chez Best Buy. Il fera ensuite un saut pour prendre un café soit au Tim Horton, au Second Cup ou au Starbuck. Finalement, il opte pour le Burger King parce qu’il est situé juste à côté d’un Dairy Queen.


Pour le soir, il décide qu’il se fera livrer son repas. Il consulte les annonces sur le Web et tente de choisir entre Hello Fresh, Goodfood, Skip, Cook It, Door Dash ou InstaCart.


Les signes d’une langue à l’agonie

La disparition d’une langue est plus souvent qu’autrement un processus lent. Il peut, de ce fait, passer presque inaperçu. Peu à peu, les locuteurs remplacent leur langue par une autre qu’ils valorisent plus. Cela passe par différents degrés de bilinguisme pour aboutir à l’unilinguisme.3

Le point de non-retour

Mais quand le point de bascule se fera-t-il ? Toujours au Canada, on a un bel exemple du glissement vers l’anglais. Dans la province du Manitoba, au poste d’essence, on entend des phrases du genre : « Fill la tank de mon truck please. » (Remplis le réservoir de mon camion svp).

Il n’y a plus qu’un pas vers l’assimilation totale pour cette minorité francophone vivant à l’extérieur du Québec. Le Manitoba comprend une population francophone décroissante de 3,2%.4


L’anglais : prestigieux ?

Mais d’où peut provenir cette admiration pour la langue américaine ? Au Canada, il y a malheureusement une réponse assez simple : la langue du conquérant rapproche du pouvoir et permet d’accéder aux bénéfices de la domination coloniale.


La prise de Québec, huile sur toile par Hervey Smyth, 1797.

Après la conquête (1760) de la Nouvelle-France par les Britanniques, l’utilisation de l’anglais devint un enjeu pour quiconque désirait accéder à des postes d’emplois supérieurs. Les nouveaux maîtres monopolisant tous les rouages gouvernementaux et commerciaux, la langue française devint une tare et d’apprendre l’anglais devint une preuve d’abnégation et une promesse de pseudo acceptation pour le peuple conquis.


Déportation des Acadiens.

Deux fronts

À partir du milieu du XIXe siècle, le français en Amérique amorça un combat sur deux fronts. Au début les Britanniques exercèrent une violente répression des locuteurs francophones, allant même jusqu’à déporter des populations afin de diluer le tissu social des Canadiens français.


Le siècle suivant vit apparaître le Canada anglais qui s’étendit du Québec à l’est (Atlantique) à la Colombie-Britannique à l’ouest (Pacifique).


Puis ce fut aux États-Unis de naitre, complétant le quasi-encerclement du Québec par des millions de locuteurs anglophones. Dès lors, nul besoin d’être un expert pour prévoir l’inéluctable renversement du français vers l’anglais.


Et en France ?

Mais le glissement du français vers la langue de Mick Jagger ne se voit pas qu’au Canada. Le Français « colore » lui aussi, de plus en plus son langage d’anglicismes. À la différence du Québécois, ils prononcent ces mots anglais avec des sonorités françaises. Curieusement, ce sont parfois des mots différents qui sont remplacés.



Cependant la même incursion incontournable des bannières anglaises inonde l’Europe francophone de ses consonances et de ses concepts anglo-saxons. Le glas sonne là aussi.


Une lutte à finir

Même avec sa conquête fulgurante de la langue française, la langue anglaise est encore bien loin de prendre toute la place sur la planète. Aux 1 268 milliards de personnes qui parlent actuellement anglais sur le globe, s’opposent toujours quelque sept milliards d’humains qui parlent une autre langue.


Finalement, l’anglais devra mettre les bouchées doubles afin de dominer la planète. Et on peut supposer que ce ne sera pas aussi facile d’angliciser le milliard d’humains pour qui la langue de tous les jours est le chinois mandarin.


Difficile de recenser avec précision combien de personnes parlent chacune des plus de 7 000 langues répandues à travers le monde. C’est ce que tente de faire chaque année la base Ethnologue, la référence par excellence en termes de données statistiques concernant les langues du monde entier.

Leur comptage prend en compte à la fois les personnes qui parlent une langue comme langue maternelle, mais aussi les secondes langues. Ils ont ainsi établi un classement des langues les plus parlées dans le monde en 2020.5


Voici un tableau des populations mondiales par langue :


 

Épilogue

À force d’analyser l’évolution des langues à travers les siècles, on se rend compte que les changements proviennent en grande partie d’influences culturelles et commerciales. Les métamorphoses se font aussi par la déformation de l’élocution dans une tentative de simplifier les échanges. Le colonialisme est passé maître dans l’art d’assimiler les civilisations par l’imposition d’une langue. L’immersion linguistique se fait aussi, insidieusement, par l’affichage prédominant de la langue envahissante.


Mais le plus gros secret de ce « trojan horse » (cheval de Troie) est de proposer, subliminalement, richesse, gloire et succès à ceux qui parleront anglais. De sorte

que la conversion devient volontaire, empreinte de motivation et l’expression de la nouvelle langue devient une fierté. Finalement, l’anglicisation n’est plus une imposition, mais, malheureusement, un but à atteindre vers un succès de conquérant.


Merci aussi à ceux qui n’ont pas lu.



 

RÉFÉRENCES


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2

L'actualité - Traduire, c’est trahir ? – Jean-Benoît Nadeau


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