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Les mots maudits


Les mots maudits

Le sens des paroles s’élabore en relation directe avec la langue, la culture d’une société.

De sorte que chaque langue possède ses bons, ses mauvais mots. Parlons donc des gros

mots.

Le zizi d’Adam

Quand les mauvais mots apparurent-ils ? Selon les philosophes qui ont réfléchi sur le sujet, c’est à la fin de la genèse que tout bascula. Selon eux, quand Adam et Ève furent chassés du paradis, le mal s’ajouta subitement au bien. Il y avait, dès lors du laid, du mauvais, et de la morale. L’ère du manichéisme était née.


« Comme la feuille qui dissimulait désormais le zizi d’Adam, les paroles commencèrent également à cacher tout ce qui était devenu mal, indécent, immoral. »

Comme la feuille qui dissimulait désormais le zizi d’Adam, les paroles commencèrent également à cacher tout ce qui était devenu mal, indécent, immoral. Ces mots interdits s’inspiraient la plupart du temps de concepts générés par la religion, la politique, la race et même tout simplement la morale du temps, de l’endroit.

Les religions hiérarchiques qui mirent en opposition le bien et le mal érigèrent les premières listes de mots à ne pas dire. Par exemple, on ne devait pas évoquer en vain les noms des divinités; en dire du mal était aussi répréhensible. Il ne fallut qu’un pas pour que les monarchies du monde voulurent aussi que la plèbe ne puisse plus faire usage de leur nom. La réalité étant qu’il ne s’agissait pas seulement du nom autant que ce que l’on en disait.

On ne peut que penser aux conséquences, aujourd’hui même, de dire du mal en public des dirigeants politiques, religieux ou militaires de Corée du Nord, de la Thaïlande, de ceux d’une multitude de pays musulmans.


Ne dis pas ça !

La langue française est truffée de paroles qualifiées de vulgaires, grossières, grivoises. Ce sont les mots de l’underground, du chuchotement, du secret et, parfois, de la volupté. Des allusions au sexe jusqu’aux discours des philosophes, toutes vérités n’étaient pas bonnes à dire. On vit naitre une grande quantité de nouveaux mots et expressions visant à contourner, par substitution, les syllabes défendues. Les parents inventèrent le zizi afin de ne pas avoir à prononcer pénis, ce mot impur, devant leur enfant.


« Les parents inventèrent le zizi afin de ne pas avoir à prononcer pénis, ce mot impur, devant leur enfant. »

Le bon lexical de la langue française fut étonnant. Les néologismes concernant les mots sein, vulve, pénis, fesse et coït se multiplièrent inondant la langue de zizi, zob, queue, plote, chatte, toton, nichon, boules, noune, bizoune, gosses, batte, bite, valseuses, baiser, fourrer, se mettre, minet, touffe et j’en passe beaucoup. Naturellement, ce ne fut pas long que ces substantifs rejoignirent la liste des mots qui brûlent la langue.


Jurons et blasphèmes

« Putain qu’ils en ont des jurons les Québécois ! », c’est que l’on entend souvent de la part des Français qui viennent au Canada français. Et ils ont bien raison. Par, on ne sait quel détour du destin, les Québécois « enrichirent » le français d’une dose phénoménale « d’interjections grossières ou blasphématoires ». Les paroles désignant des symboles ou des objets religieux devinrent des expressions visant à exprimer des émotions vives comme la colère ou toutes autres contrariétés. Quand une personne se cognait un doigt avec son marteau, il avait à sa disposition plusieurs options pour exprimer sa douleur.

« Quand une personne se cognait un doigt avec son marteau, il avait à sa disposition plusieurs options pour exprimer sa douleur. »

Rectitude idéologique

Puis, on vit poindre le « Politically correct »; un genre de « rectitude idéologique ». Il y avait déjà les mots interdits par leur teneur en immoralité et en grossièreté; on enrichissait la longue liste d’expressions en espérant camoufler les mauvais mots ayant une teneur antisociale, raciste ainsi que toutes expressions péjoratives.


« C’est ainsi que les personnes de petite taille ne furent plus des nains, les aveugles devinrent non-voyants. »

Surgissant de l’utérus de la langue, des merveilles de néologismes, d’acronymes, d’hyperboles et de métaphores orientèrent vers la neutralité des significations. C’est ainsi que les personnes de petite taille ne furent plus des nains, les aveugles devinrent non-voyants, les personnes noires passèrent de personnes de couleur à minorités visibles, d’Afro-Américains à individus racisés.

Les handicapés furent promus au rang des personnes à mobilité réduite, les vieux devinrent des aînés, les prostitués érigées au statut de travailleuses du sexe. À chaque jour s’additionnèrent une nouvelle rectitude de sens, une nouvelle expression acceptable.

Ce n’est plus drôle

La rectitude idéologique se répandit rapidement au domaine de l’humour. Admettant de facto que les plaisanteries sont souvent fondées sur des traits culturels et les travers de la société, le domaine fut amputé de ses farces, malheureusement, les plus ries.

Le filtre des idéologies féministes, humanistes, antiracistes, anti-xénophobies, anti-genres et orientations sexuelles fut instauré avec, semble-t-il, une grande acceptabilité sociale. À l’écoute de blagues sur les femmes, les ethnies, la couleur de la peau, les traits culturels, on commença à entendre : « Ce n’est pas drôle. Ne me raconte plus rien du genre, c‘est irrespectueux ».

Les crimes de mots

La charge émotive négative qu’accumulèrent certaines expressions fut considérable. On en vit les effets discriminatoires dernièrement au Canada. D’abord, une journaliste du réseau CBC a reçu un blâme pour avoir prononcé le « N-word » en citant le titre du livre de l’auteur québécois Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique. Elle a fait l’objet de mesures disciplinaires considérant qu’elle avait utilisé « un langage offensant ». *1


« On condamna l’enseignante pour avoir fait preuve de violence anti-noir  en étalant son « autorité, son privilège et son pouvoir de professeure blanche » en classe. »

Peu de temps après, c’est une professeure de cinéma dans une université de Montréal qui est prise à partie. Lors de la présentation du même ouvrage de Pierre Vallières, elle évoqua le titre deux fois. C‘en était trop. Une pétition de 200 signataires exigea que l’université lui retire son cours. On condamna l’enseignante pour avoir fait preuve de « violence anti-noir » en étalant son « autorité, son privilège et son pouvoir de professeure blanche » en classe. *2

Que reste-t-il ?

Où en sommes-nous donc ? Doit-on taire tous propos, tous ouvrages faisant usage des concepts, des expressions occultées ? Faut-il insérer des espaces vides dans nos textes, nos élocutions; avec des astérisques menant à la description délicate des vocables punissables ? Comment traiter de sujets qu’on ne peut nommer ?

Devrions-nous retirer tous documents où on retrouve les expressions restreintes ? En même temps, on pourrait éliminer toutes les statues, tableaux, films et archives corrompus de choses à ne pas évoquer ?


Un bon côté

Malgré toute cette pagaille de mots maudits, de maudits mots, de gros mots; le « politically correct » a quand même eu un bon effet : Lucky Luke a arrêté de fumer.





 

Nègres blancs d'Amérique, de Pierre Vallières Éditions Parti Pris 1968

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Marc-André Lemieux

Journal de Montréal 26 juin 2020

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*2

Isabelle Hachey,

LA PRESSE 15 août 2020



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