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L'île de Pâques et la fin du monde


À l’âge de huit ans, mon fils me demanda : « Papa, les statues de l’Île de Pâques sont-elles en chocolat ? ». Je lui répondis que non, elles étaient plutôt en pierre, mais que papa allait faire des recherches.


Pourquoi Pâques ?

Non l’Île de Pâques ne porte pas son nom à cause de statues en chocolat. Le nom de l’île est dû au navigateur Hollandais Jakob Roggeveen qui y accosta avec trois navires au cours d’une expédition pour le compte de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales. Il la découvrit en effet le dimanche de Pâques 1722 et l’appela Paasch-Eyland (Île de Pâques).1

La plus isolée au monde

Située dans le nord-est de l'océan Pacifique Sud, cette terre, dont le nom original est Rapa Nui, est la plus isolée au monde. La côte chilienne se trouve à 3700 kilomètres, l'île de Pitcairn à 2000 kilomètres, Tahiti, à 4000. L’île de Pâques a trois lacs d’eau douce dans des cratères volcaniques, mais aucun cours d’eau permanent. L’île est d’origine volcanique avec trois cônes principaux éteints. Il existe de nombreux autres petits cratères et reliefs volcaniques. La population comptait 3 304 habitants en 2002.


Le rapanais des Matamua

L’île fut donc habitée d'abord par les indigènes matamua qui furent ensuite renommés Rapa Nui pour devenir finalement Pascuans chiliens. Aujourd’hui la langue officielle de l'île est l’espagnol.


On ne sait que peu de choses de la langue polynésienne parlée par les indigènes matamua de l'île de Pâques; le rapanui actuel, originaire de Polynésie française, est proche, mais assez différent du rapanais de Polynésie orientale, et encore couramment utilisé dans les échanges quotidiens entre habitants polynésiens, mais recule au profit de l’espagnol.2


Groupe de « Pascuans », illustration de l'ouvrage de Katherine Routledge, The Mystery of Easter Island, 1919.
Les Pascuans n'obtinrent la citoyenneté chilienne - et la liberté de vote et d'être - qu'en 1966.3


La presque disparition

À la fin du XIXe siècle, les Rapa Nui ont failli disparaître, victimes de maladies.

Un film fut tourné à propos de l’île de Pâques : Rapa Nui de Kevin Costner.

Une culture qui faillit disparaître: dans les années 1870, il ne restait plus que 111 Rapa Nui, issus de trente-six familles. Les autres étaient morts, victimes des envahisseurs et de leurs microbes. En 1862, une flotte d'esclavagistes péruviens avait accosté. Après avoir attiré les insulaires -grands amateurs de musique- en jouant de l'accordéon, ils en avaient capturé environ 1500, qui ont presque tous péri de mauvais traitements au Pérou.


Comble de l'horreur: la poignée de survivants, rapatriés grâce aux pressions des missionnaires et du consul de France à Lima, propagèrent une épidémie de variole, manquant d'exterminer le reste de la population. La tragédie des Rapa Nui a continué quand les autorités chiliennes eurent annexé l'île en 1888: elles la louèrent à des ranchers anglais, confinant les «indigènes» dans le village d'Hanga Roa, cerné de barbelés.


Les Pascuans n'obtinrent la citoyenneté chilienne - et la liberté de vote et d'être - qu'en 1966.3

Les fameuses statues

Les statues de l'île de Pâques, en tuf volcanique*, font jusqu’à neuf mètres de haut et pèsent parfois plus de 100 tonnes. On les appelle les moaï. Un millier de ces moaï ont été taillés par le peuple des Matamua et leurs successeurs les Rapa Nui. Ces peuples anciens n’ont pas laissé d’indices.


Les moaï étaient taillés sur le flanc des volcans puis transportés sur les bords de l’île leur visage tourné vers l’intérieur de l’île; faisant dos à la mer comme s’ils la dédaignaient. Une des hypothèses sur leur position veut que les statues étaient là pour garder un regard protecteur sur les insulaires.

*Tuf volcanique en anglais tuff : Roche pyroclastique à lapillis dominants, formée par accumulation de projections volcaniques



Comment ?

Plusieurs théories ont été avancées sur comment les immenses sculptures purent être transportées et érigées par les Matamua. Même si la hauteur moyenne des statues est d’environ neuf mètres, celui de l’ahu Te Pito meusre 11,50 mètres et son chignon pèse deux tonnes.


Abandonnée dans la carrière, on a même trouvé un moaï de vingt-et-un mètres abandonné en cours de construction. Le tuf volcanique étant très friable, il arrivait que la pierre se brisait en deux; elle était alors abandonnée sur place.

Dans les années 2000, l’équipe de l'anthropologue Carl Lipo a essayé de comprendre comment les statues avaient pu être déplacées depuis la carrière volcanique jusqu’aux “terrasses sacrées”. Dans son ouvrage The statues that walked et dans un article du Journal of Archaeological Science publié en mai 2018, il explique simplement que les statues marchaient... Ou plutôt qu’elles étaient tirées par des cordes.4



Le transport

Bien qu’elles semblent toutes irréalisables, plusieurs théories ont été avancées pour expliquer comment les gigantesques monuments furent transportés.

Non, les colosses de pierre n'ont pas été acheminés par les extraterrestres. Ils seraient simplement venus… à pied.

Comme un frigo

Après des années de recherche, les anthropologues Carl Lipo (université de Binghamton) et Terry Hunt (université de l'Arizona) coauteurs de l'ouvrage The Statues that walked (2011)5, ont démontré que les immenses statues (quatre mètres de haut et douze tonnes en moyenne) avaient été acheminées grâce à des cordes enroulées autour de cou des moaï, et des hommes placés de part et d'autre. Les Rapanuis les auraient alors fait se dandiner, un peu comme un frigo lors d'un déménagement.4 D'où la conclusion des scientifiques : non, les colosses de pierre n'ont pas été acheminés par les extraterrestres. Ils seraient simplement venus… à pied.


Extrait du film de Kevin Costner - 15 secondes

Sur des rondins

Des scientifiques sont parvenus à faire bouger des moaï traînés debout par un joug de bois, ou couchés sur des rondins. Une fois sur la côte, le moaï était, semble-t-il, redressé grâce à une rampe de pierres amoncelées, sous lui. Cette rampe était peut-être prolongée pour coiffer la statue de son chapeau, roulé ensuite jusqu'au sommet. La tâche, titanesque, conduit certains à voir dans les moaï l'œuvre de la magie ou d'extraterrestres. […] Mais pour l’ethnologue français Francis Mazières, des extraterrestres auraient simplement posé les moaï sur l'île. Une théorie qui n’a (étonnamment !) pas été prise au sérieux.4


L’emplacement ?

Sur cette île où la vie tient du miracle tant les ressources sont limitées, les chercheurs Lipo et Hunt ont comparé, en 2019, la localisation de 93 ahu* à l'emplacement d’éléments vitaux : les spots de pêche et les sources d'eau douce. Et là, enfin, ils ont obtenu une concordance. Sur leurs modélisations, les petits points bleus des « sources d’eau douce » correspondent aux points rouges des statues tout le tour de l’île.

*Terrasse de pierre sur lesquelles les moaï sont installés


Eh bien ! voilà, les ahu, les terrasses de pierre sur lesquelles sont dressés environ 300 (soit un bon tiers) des mystérieux colosses érigés par les Rapanuis entre le 13e et le 18e siècle, auraient servi à indiquer les précieuses sources d'eau douce de l'île. Une denrée rare dans ce mythique bout de terre de 163 kilomètres carrés, ancré dans l’océan Pacifique. Car ici, les précipitations sont faibles et imprévisibles.6


La fin du monde

Pour d’autres, la vérité est toute autre. Le géographe américain Jared Diamond7 avance que les moaï étaient couchés sur des rondins de bois, ce qui aurait conduit à la perte de la civilisation de l’île avec une surexploitation des ressources forestières de l’île.


Oeuvre de Jaroslaw Jasnikowski

L'île de Pâques, exemple d'« écocide » ?

L’histoire de la presque disparition de la civilisation sur l’île amène à la comparer à la disparition éventuelle des humains sur la planète. En effet, la Terre, comme Rapa Nui, est isolée dans la Galaxie. Comme cette parcelle au milieu de nulle part, notre planète arrive au bout de ses ressources et risque de voir sa vie disparaître par la surexploitation et le non-renouvellement des ressources.


Combiné à la surpopulation croissante, le manque de nourriture conduira sans doute à l’extinction de la race comme la fin qu’a frôlée les habitants de l’île de Pâques.


L’île de Pâques était autrefois couverte d’une forêt luxuriante jusqu’au jour où l’homme a débarqué.


Un peuple inconscient et avide qui défriche, cultive, construit des villages et se multiplie en pillant les ressources de la nature. Les arbres sont abattus sans vergogne et la terre devient rapidement sèche et stérile. Il n’y a alors plus assez de nourriture pour tous les habitants, qui, affamés, en sont réduits à s’entretuer pour survivre…


Et c’est au cours de cette guerre que sont abattues les immenses statues, autrefois sculptées par les ancêtres. Cette histoire dramatique et funeste sonne comme un avertissement, une mise en garde : voici le destin qui attend l'humanité si on continue à surexploiter les ressources de la Nature.

[...]

Il ne reste alors plus que le cannibalisme et le renversement des Moai, ces imposantes statues de pierres, symbolisant les ancêtres. Une image d’apocalypse, comme si la Nature avait décidé de se venger des hommes, pour avoir été trop gourmands…8


 

Épilogue

Depuis des millénaires, l’humain a entrepris des tâches pharaoniques avec des moyens réduits. Il a compensé la technologie par l’usage de milliers d’esclaves ou de dévots. Au cours de l’Histoire s’érigent des pyramides grandioses, d'immenses statues, des cathédrales gigantesques, des obélisques et des menhirs impressionnants.


Aujourd’hui, encore, le besoin de grandeur se poursuit en la construction de gratte-ciels toujours plus hauts, toujours plus osés. Où cela s’arrêtera-t-il ? L’humain est-il un grand bébé qui s’amuse à qui fera pipi le plus loin ? Mais le bébé est mieux de réagir bientôt, car, comme l’a prouvé l’histoire de l’île de Pâques, la survie de la planète ne se fera pas en hauteur, mais plutôt en

longueur. Et comme la cigale de la fable, cessons de chanter maintenant si on ne veut pas danser dans un monde infertile.



Merci aussi à ceux qui n'ont pas lu.


 

RÉFÉRENCES


1

Wikipedia – L’île de Pâques


2

Guide Gallimard – Chili & L’Île de Pâques


3


4


5


6


7

Jared Diamond - Géographe


8



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