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La mémoire oubliée


La mémoire est toujours derrière nous. On tisse nos souvenirs au quotidien, comme un long tricot dont les premières mailles se noient dans l’oubli. Sans notre faculté de se rappeler, plus de culture, plus de passé, plus de souvenirs. Notre mémoire est ce que l’on est. Il ne faut pas l’oublier. Souvenons-nous ensemble de cette mémoire que l’on perd de plus en plus.


La mémoire, pour quoi ?

Sans mémoire nous serions dépourvus d’identité, d’expression, de savoir, de connaissances, de réflexion et même de projection dans l’avenir. En fait la mémoire est un outil permettant d’apprendre, d’acquérir de l’expérience de vie, de se construire une identité. Elle permet d’anticiper l’avenir grâce au passé. Comme le dit le philosophe Alain Berthoz : « La mémoire du passé n'est pas faite pour se souvenir du passé, elle est faite pour prévenir le futur. La mémoire est un instrument de prédiction. »


« La mémoire du passé n'est pas faite pour se souvenir du passé, elle est faite pour prévenir le futur. La mémoire est un instrument de prédiction. » - Alain Berthoz *

Les types de mémoire

Sujet étudié par plusieurs scientifiques spécialistes du cerveau, la mémoire a été subdivisée en plusieurs types. Même si certaines études l’ont déclinée à jusqu’à huit genres1, la théorie la plus simple a élaboré la mémoire en trois versions : la mémoire à court terme, à moyen terme et à long terme.

À court terme

Ici, nos souvenirs persistent de 0,5 seconde à 10 minutes. Il s’agit d’une mémoire éphémère. On l’utilise, par exemple, quand on retient un numéro de téléphone jusqu’au moment où on l’écrit ou le compose. C’est là que l’on entrepose momentanément une retenue lors d’une addition. D’une durée de vie très courte, la rétention des informations de cette zone n’est qu’utilitaire.


À moyen terme

La mémoire à moyen terme, aussi appelée mémoire de travail, nous permet de garder souvenir de la plupart de nos actes quotidiens. Elle permet, par exemple d’attacher ses lacets, de conduire l’auto tout en pensant à autre chose. Elle permet de classer par ordre alphabétique, de se souvenir de choses importantes et de toutes autres tâches apprises dans le passé. Il s’agit de la mémoire qui nous sert tous les jours à accomplir tout ce qu’on a appris dans le passé.


À long terme

La mémoire à long terme stocke les informations de toute notre vie. Elle a une capacité de rétention considérable. Selon certaines recherches des docteurs Atkinson et Shiffrin : « La durée de rétention peut être de quelques minutes ou toute une vie. Les modes de codage suggérés sont sémantiques (signification) et visuels (picturaux), mais peuvent également être acoustiques. »2


« Ce qui signifie qu’en théorie, nous conservons le souvenir de presque toute notre vie, mais nous ne parvenons pas à y avoir complet accès. »

Ce qui signifie qu’en théorie, nous conservons le souvenir de presque toute notre vie, mais nous ne parvenons pas à y avoir complet accès. Ceci s’explique par deux phénomènes. D’une part notre cerveau, voulant se protéger, érige le blocage de certains passages de notre passé. Soit parce que ces événements sont trop blessants ou parce que ces souvenirs nous heurtent.


Cependant, nous avons la faculté de nous remémorer ces choses que nous avons cru oubliées. En effet, notre mémoire ancre certains souvenirs par des codages. Ce qui fait que certains souvenirs qui semblaient noyés dans notre Histoire ressurgissent lorsque l’on entend une certaine pièce de musique, un bruit, qu’on rencontre une personne du passé ou même le fait de revoir un objet. Ces réminiscences proviennent du fait que la mémoire se sert de « marqueurs » qu’elle associe à des événements.


Le réservoir secret

Certaines recherches ont révélé qu’il était possible de retrouver des souvenirs oubliés. Le grand chercheur hypnologue Milton H. Erickson3 l’a prouvé par des séances d’hypnose où les sujets se remémoraient des activités de leur petite enfance. Des crimes furent résolus par des régressions dans la mémoire de témoins. Selon Erickson, tout est là, il ne nous manque seulement le moyen d’y accéder.


D’une mémoire à l’autre

Nos souvenirs peuvent changer de position dans notre mémoire. C'est-à-dire qu’une chose à se rappeler peut survivre momentanément dans la mémoire à court terme. Mais si on se la répète plusieurs fois, elle est transférée dans la mémoire à moyen terme. Si ce même souvenir est rattaché à un marqueur (musique, lieu, événement, image), il sera ravivé à chaque fois que l’on sera en présence du marqueur qui l’amorce.


« La publicité a vite compris que l’association à une marque passe par la répétition. C’est le cas de la répétition constante des slogans associés à un produit. »

L’utilisation de mnémotechnique facilite la rétention d’information. Cette technique consiste à associer une information à un objet, une image ou une référence quelconque. Ce repère nous servira plus tard à retrouver cette information. Par exemple, les trucs de grammaire pour retenir les conjonctions : mais-ou-et-donc-car-si-ni-or. Ou, pour se souvenir de l’ordre des planètes du Système solaire : Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune. On emploie la phrase suivante : Même Vieux Truc Mais J'en Sais Un Nouveau. **


La publicité a vite compris que l’association à une marque passe par la répétition. C’est le cas de la répétition constante des slogans associés à un produit. On incruste l’information afin qu’elle passe de la mémoire immédiate à la mémoire à moyen terme, espérant atteindre la mémoire à long terme du client potentiel.


La mémoire collective

En plus de ce que l’on se souvient comme individu, s’ajoute la mémoire de notre monde. Il s’agit de la mémoire collective qui elle peut être subdivisée en trois thèmes : la mémoire familiale, la mémoire historique et la mémoire humaine.

Chaque famille, au cours de son histoire et grâce à ses racines communes, se forge une mémoire patrimoniale. Le chercheur Maurice Halbwachs a documenté le phénomène dans son livre La Mémoire collective :

« Cette mémoire familiale conserve le souvenir des rapports de parenté, des identités personnelles et des événements qui ont marqué l'histoire du groupe. Elle est dans un devenir permanent : elle ne cesse de s'enrichir de faits nouveaux de même qu'elle s'affaiblit à la mesure de la dispersion et de la disparition de ses membres. »4


« L’histoire des civilisations s’inscrit presque toujours dans une sorte de liste des grands événements vécus par la nation, la race à travers les siècles. »

La mémoire historique s’explique par elle-même. L’histoire des civilisations s’inscrit presque toujours dans une sorte de liste des grands événements vécus par la nation, la race à travers les siècles. Cette remémoration des mouvements remarquables qui ponctuent le cheminement d’un groupe s’inscrit en mémoire soit par la transmission orale, mais aussi dans le cadre de l’enseignement de l’Histoire.



La mémoire génétique est sans aucun doute la plus intéressante des trois types de mémoires collectives. Les souvenirs qu’elle recèle proviennent de nos ancêtres. Certains de ses souvenirs proviennent même de notre enfance préhistorique. Comme les atavismes, ces caractères héréditaires, souvent oubliés, qui peuvent ressurgir en cas de besoin. Par exemple : le besoin humain du grand de protéger le petit, la poussée inconsciente de l’homme à protéger la femme, la méfiance automatique envers les animaux; en situation d’urgence, le besoin impératif de faire un feu, de s’abriter et de trouver de l’eau. Ces réactions sont inscrites au plus profond de notre ADN, elles font partie de notre mémoire héréditaire.


Les super mémoires

Connaissez-vous Dominic O’Brien ? C’est l’homme avec la meilleure mémoire du monde. Il peut mémoriser un jeu de cartes complet en quelques secondes et est interdit de casinos partout dans le monde. Il a remporté le World Memory Championship huit fois. Norris McWhirter, le cofondateur de Guinness World Records, lui avait dit que six jeux de cartes seraient la limite humaine, mais il n’a pas fallu longtemps avant que O’Brien prouve le contraire en mémorisant 54 jeux de cartes.5


Dans son livre Comment développer une mémoire extraordinaire7, Dominic O’Brien nous révèle un de ses trucs de mémorisation : « Il s’agit d’utiliser un trajet familier, un trajet autour de votre maison ou un trajet au travail ou autour du parc et sur les différentes étapes le long du trajet vous ancrez des images. Donc, si vous faites les courses et allez acheter dix articles, vous imaginez chaque article le long du voyage en faisant des associations : les céréales avec un banc que vous croisez, une bouteille de vin avec un chêne sur votre route, etc. »5


« Je peux prendre une date quelconque, entre 1974 et aujourd'hui, et vous dire à quel jour de la semaine elle correspond, vous raconter ce que j'ai fait ce jour-là [...] »

D’autres personnes ne semblent avoir aucune limite à leur mémoire à long terme. C’est le cas de Jill Price, dont la mémoire surprenante a été étudiée par le neurobiologiste James McGaugh 6 : « J'ai 34 ans et depuis l'âge de 11 ans, j'ai cette incroyable capacité à me souvenir de mon passé. Je peux prendre une date quelconque, entre 1974 et aujourd'hui, et vous dire à quel jour de la semaine elle correspond, vous raconter ce que j'ai fait ce jour-là […] et vous décrire les éventuels événements importants qui y sont survenus. »6


La mémoire oubliée

Et aujourd’hui, où en sommes-nous avec notre mémoire ? Une grande partie des habilités à se souvenir a été engloutie par la mémoire des ordinateurs, des tablettes et des téléphones intelligents. Les jeunes et les moins jeunes n’ont plus aucun numéro de téléphone en tête; la mémoire a déménagé.


Comme si la capacité de notre cerveau n’était pas assez grande, l’humain s’est construit une deuxième mémoire dans un cerveau électronique qu’il a au bout du doigt. Mais qu’arrivera-t-il si on transvide trop dans cette nouvelle mémoire et qu’elle tombe en panne ou s’efface ?



Épilogue

Donc, on se souviendra de ne pas oublier de se souvenir de tout ce dont on se rappelle.

Qu’on se remémore ou pas la mémoire des anciens au jour du souvenir, qu’on ait effacé ou pas des passages de nos vies et de nos Histoires, tout est là quand même. Et quand on meurt, on ne disparaît pas car nous survivons sous la forme de souvenirs dans la mémoire de ceux qui se rappelleront de nous.


Merci aussi à ceux qui n’ont pas lu.


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1

Catherine Meilleur


2

de Richard Atkinson et Richard Shiffrin


3


4

de Maurice Halbwachs


5


6


7



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