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Tattoo, tatouage et tatou




Connaissez-vous quelqu’un qui a un tatouage ? Ou plutôt, connaissez-vous quelqu’un qui n’en a pas ? Depuis quelques décennies, les dessins s’incrustent dans la chair d’une façon exponentielle. Des tribus antiques aux générations actuelles en passant par les prisonniers puis les vedettes, le tatouage, toute une histoire de peau.


De quoi parle-t-on ?

Dessin d’un chef maori réalisé en 1784. SYDNEY PARKINSON
Dessin d’un chef maori réalisé en 1784. SYDNEY PARKINSON

Le terme tattoo, qui est la traduction anglaise de tatouage, devient de plus en plus employé en français. Le mot provient du tahitien tatau, qui signifie « dessin des dieux ». L’explorateur James Cook ramena le mot de Tahiti le convertissant en tattoo; le mot sera francisé en « tatouage » à la fin des années 1700.

Pour les francophiles, il existe aussi le mot tatou qui lui désigne le mammifère d’Amérique tropicale, fouisseur et insectivore, pourvu d’une carapace de plaques cornées disposées en bandes articulées.1


De quoi s’agit-il ?

Le tatouage est un dessin indélébile exécuté en introduisant sous la peau des pigments de couleurs. Il s’agit d’une pratique ancestrale et elle fait partie de l’Histoire de nombreux peuples. Les plus vieilles incrustations de signes dans la peau datent de 5000 ans av. J.-C. Elles furent trouvées sur le cadavre de « Ötzi, l'homme de glace ». Voici des détails tirés du journal Le Monde du 10 mars 2018 :


Au début des années 1990, un homme est retrouvé dans un cercueil de glace, en Italie, près de la frontière autrichienne. Des recherches, en particulier la datation au carbone 14, suggèrent qu'il est âgé d'au moins 5300 ans.


Surnommé depuis « Ötzi, l'homme de glace », le corps porte une croix derrière un des genoux et une série de ligne au-dessus des reins. En tout 57 zones de son corps sont tatouées. Ces marques semblent avoir une fonction médicale plus qu'ornementale! (Trajet de point d'acupuncture, traitement contre l'arthrite).2


Il faut ici noter que l’Histoire n’a pas beaucoup d’exemples de tatouages millénaires étant donné que chez l’humain, la peau est une des premières parties à se décomposer. Quelques rares momies égyptiennes conservèrent traces de scarifications évoquant des images dans l’épiderme.

Tableau des outils The History Of Tattoos – Addison Anderson

Tableau des outils de tatouages The History Of Tattoos – Addison Anderson 13


Techniques de jadis

Pour introduire les pigments de couleurs sous la peau, à chaque peuple sa technique. Un seul vecteur commun à l'ensemble de ces techniques reste la douleur du tatoué, bien que dans certaines peuplades cela fait parfois partie intégrante du rituel.

Dans le pacifique : Le tatouage s'effectue à l'aide d'un « râteau » aux dents constituées d'aiguilles ou de pointes d'os. Il est posé sur la peau et frappé avec une sorte de maillet.


Au Japon, c'est une série de baguettes munies d'un faisceau d'aiguilles qui est utilisée.


Les Inuits utilisaient un fil enduit de noir de fumée et une aiguille pour « coudre » le motif voulu. Les pigments provenaient soit de suie, de charbon de bois réduit en poudre, d'os calcinés, de suc de plantes, du henné, du khôl, de l'indigo, de safran, ou de poudre d'antimoine. 3

En Afrique, curieusement, le marquage de la peau passe souvent par les femmes. Une tradition qui se développe chez les Berbères d'Afrique du Nord ou les Bédouins du Proche-Orient. Le tatouage se distinguant mal sur des peaux noires, la scarification fut préconisée.4


Identité et hiérarchie

Que ce soit chez les Celtes, les Japonais, les Égyptiens ou les Polynésiens, le tatouage a toujours été signe d’identité, marque hiérarchique, concept protecteur. Le caractère permanent du tatouage en fait un engagement à vie. Dans beaucoup de civilisations, le tatouage était le centre de rituels initiatiques et religieux.


« Marquer le corps, c'est le sortir de la nature pour l'ancrer dans la culture. » Gilles Boëtsch 5

Au XVIIIe siècle, le tatouage se répand dans le monde grâce aux marins qui en transportent la technique et les images. Les marchands d’esclaves utilisent le tatouage pour le marquage des prisonniers. Au début du XIXe siècle, l’usage se propage en Occident. Ce sont tout d’abord les marginaux, les hommes en prison et les « mauvais garçons ». Lors de la Seconde Guerre mondiale, ce sont les prisonniers du IIIe Reich qui sont tatoués de force.


Au début des années 1900, Betty Broadbent était présentée dans un cirque comme « LA FEMME TATOUÉE »6 Courtoisie de Wikimedia commons


La machine stylo

Mais ce qui changea vraiment l’art du tatouage, c’est la machine électrique à tatouer qu’inventa l’anglais Samuel O’Reilly à la fin du 19e siècle. L’appareil donne un vent de modernisme et de professionnalisme à l’art de pigmenter la peau.


Le principe est simple : des aiguilles reliées à une buse et dont on peut régler la profondeur (environ 1 mm) qui entre dans la peau. La machine créée par O’Reilly était du type rotatif. On créa ensuite une machine à bobines, un deuxième principe de fonctionnement.

Voici des animations des principes des deux types d'appareils à tatouer


Ce n’est vraiment qu’à partir des années 70 que les décorations corporelles se généralisent. On s’en sert de plus en plus comme signe de rébellion de protestation et de contestation. C’est dans les années 90 que le tatouage devint un phénomène de mode. Des centaines de boutiques de tatouages apparurent pour cet art de plus en plus tendance.


Artistique et esthétique

Grâce à l’amélioration du matériel, des techniques et des conditions d’hygiènes, le tatouage se répandit et on vit apparaître une démarche artistique affirmée par des œuvres remarquables. La beauté du tatouage se retrouve autant dans l’élaboration d’œuvres grandioses que dans l’inscription de signes significatifs. Ces marques ne sont pas qu’une démarche artistique, elles ont été choisies par le tatoué pour exprimer, à vie, comment il veut se démarquer. Les tatoués partagent entre eux, la douleur que leur a coûté cette manière de s’exprimer et la pérennité de l’œuvre.


Là où ça fait mal !
Là où ça fait mal !
« Avec une partie du tatouage, on explore les limites de son endurance à la douleur. Il y a beaucoup d’hormones qui viennent jouer là-dedans. C’est une épreuve au fond et, quand on passe à travers, on en sort renforcé. » Maximiliano Jose Grebe Cabrera7

Les styles de « tattoo »

Bien qu’il y ait de milliers de styles de tatouages à travers le monde, les artisans de la pigmentation de l’épiderme, comme dans tous arts visuels, élaborèrent des styles rapidement répandus par une tendance planétaire. Des milliers de tatoueurs professionnels du monde, surgissent des catalogues de styles à des fins commerciales (comme l’élaboration de dix différents styles de tatouages telle que proposée par l’équipe de Pitbull Tattoo Phuket Thaïlande8 ) :


Le tatouage japonais: est devenu incroyablement populaire au cours des dernières décennies, et pour cause. Les tatouages japonais traditionnels sont d'une beauté étonnante et peuvent porter sur un large éventail de sujets différents. Ils sont souvent réalisés dans des couleurs vives, mais les palettes noires et grises douces sont également très populaires. En termes de contenu, les tatouages japonais contiennent des tonnes de belles images.

Le tatouage « old school » : style traditionnel de tatouage américain. Ce style a commencé à se développer au 18e siècle, mais sa popularité a grimpé en flèche dans les années 1950. Cette époque particulière a été surnommée la « renaissance du tatouage », car l'industrie du tatouage a connu des changements sociaux, artistiques et technologiques massifs.


Le tatouage néo-traditionnel est l'un des styles de tatouage les plus populaires de nos jours. Le néo-traditionnel est simplement une extension des tatouages de la vieille école - pensez aux sujets traditionnels, mais avec une qualité de dessin bien supérieure et une palette de couleurs élargie.


Les tatouages abstraits sont incroyablement populaires en ce moment. Le terme "abstrait" est assez vague, l'un des principaux styles qui relèvent de ce terme est le tatouage à l'aquarelle. Ces tatouages sont très délicats, mais très vivants, et peuvent porter sur un certain nombre de sujets différents. Parmi les plus courants, on trouve les fleurs, les oiseaux et les animaux. Ils sont très appréciés sur les réseaux sociaux, et vous pouvez en trouver beaucoup sur Instagram.


Les tatouages au pinceau ou à la peinture. Ils sont, étonnamment, conçus pour donner l'impression d'avoir été peints sur la peau du client.

Les tatouages réalistes sont l'un des styles de tatouage les plus appréciés actuellement, car il faut beaucoup d'habileté pour bien les faire. Ce style est réellement devenu populaire vers la fin de la renaissance du tatouage et au début des années 2000, lorsque des artistes plus traditionnels et des concepteurs formés se sont impliqués dans le milieu du tatouage. Les portraits sont très courants, tout comme les références à la culture pop comme les scènes de film ou les images de personnages.


Les tatouages de lettres ont toujours été très populaires, et cela n'a pas changé ces dernières années. Cela a du sens si l'on considère le nombre de personnes qui se font tatouer pour commémorer des événements ou des sujets personnels. Se faire tatouer les paroles d'une chanson, une citation ou une signature est un choix très courant, surtout pour les premiers tatouages.


Les tatouages tribaux polynésiens, maoris et samoans ont tous des significations et des symboliques incroyablement riches, et constituent un style de tatouage beaucoup plus spirituel que certains des autres styles que nous avons couverts dans cet article.


Les tatouages Sak Yant une forme traditionnelle de tatouages originaire de Thaïlande sont traditionnellement conçus et tatoués par des moines bouddhistes, et seraient régulièrement réalisés dans les temples.

Les tatouages géométriques, les motifs géométriques sont des tatouages délicats et complexes composés de multiples lignes fines. Souvent, ils sont tout noirs, bien que certaines parties soient en couleur. Les mandalas y sont incroyablement populaires, car ils sont très variés. Souvent, ils peuvent être combinés avec d'autres sous-catégories de tatouages, comme les tatouages floraux ou les tatouages en pointillés.9



En manque de rituel ?

Quand on se pose la question ; pourquoi les gens se font-ils tatouer ? Au-delà des réponses comme la mode et la tendance, on peut se demander s’il n’y aurait pas, par exemple, un besoin de rituel dans un univers où il n’y en a presque plus, une nécessité d’exprimer une position immuable, l’expression d’un engagement et

d’une identité spécifique, le besoin des femmes de se réapproprier leur corps et, en même temps, une connivence universelle entre la douleur et la conviction.


D’ailleurs, la professeure en sociologie de l’UQAM Mariette Julien explique :

« Le tatouage peut fournir un rituel à une société qui en manque. [..] La pratique douloureuse accentue l’idée d’un « passage intense » et significatif. Le résultat compte d’autant plus que la démarche fait mal. […] En tout cas, dans 200 ans, quand il faudra une image pour présenter l’homme social d’aujourd’hui, c’est évident qu’il sera tatoué ».10

Les tatoués, des produits ?

Pour certains de nos contemporains, l’engouement actuel pour le tatouage n’est rien d’autre qu’un reflet de notre société de marketing et le besoin de se démarquer par un genre de représentation extérieure de son moi profond. Est-ce que le tatouage est parfois un affichage de Marques, une publicité personnelle ? Voyez ce qu’en dit le professeur Grebe Cabrera :


« Nous sommes des produits. Nous nous mettons en valeur et en vente sur les réseaux sociaux. Les gens qui se font tatouer s’imaginent qu’ils choisissent les images par eux-mêmes et pour eux-mêmes. Bien souvent, en fait, ils subissent l’influence de l’extérieur, y compris d’une image idéale imposée par la mode ou la publicité. Nous sommes des marques. » 11


« Habituellement, l’apparence d’une génération devient antiaphrodisiaque pour la génération suivante. » Mariette Julien

La professeure Mariette Julien ajoute :

« Les gens ont l’impression de faire un geste singulier en se faisant tatouer. Ils ont l’impression d’exprimer une forme de marginalité. Mais on sait très bien qu’il s’agit d’un phénomène de contagion sociale. Le fait de choisir son tatouage et son tatoueur accentue l’illusion de la singularité. » 11


« C’est un phénomène de mode et je peux vous dire que, dans 20 ans — et c’est rare qu’on puisse faire des prédictions assurées —, ce sera complètement dépassé, conclut-elle. Habituellement, l’apparence d’une génération devient antiaphrodisiaque pour la génération suivante. On pourra donc connaître l’âge des gens au fait qu’ils ont un tatouage. »11

Passer l’éponge ?

On peut se lasser de son tatouage ou le trouver gênant parce que notre vie ou nos convictions ont changé. L’augmentation du nombre de tatoués s’accompagne donc d’une hausse des détatouages. Lasers, microdermabrasion, crèmes blanchissantes et injections de lait de chèvre ou de solutions à l'acide glycolique, sont toutes des méthodes proposées. Mais, le laser est la technique la plus utilisée et la plus efficace.


Le détatouage au laser, pratiqué par les dermatologues, permet de casser les billes d’encre sous la peau. Cela peut être très douloureux. La suppression nécessite plusieurs traitements, habituellement entre 5 et 10, espacés de 6 à 8 semaines tout dépendants de la réaction de votre peau au traitement, de l’âge de votre tatouage, du type d’encre utilisé et de la profondeur où est logé le pigment.


La journaliste Isabelle Morin de La Presse nous dresse en cinq points les choses importantes à retenir sur le détatouage :


- Un détatouage prend plus de temps que le tatouage en lui-même. Think before you ink (« réfléchissez avant de vous faire tatouer »), dit-on


- Plus vieux, plus incrustés. Les vieux tatouages sont plus difficiles à éliminer parce que leurs pigments sont implantés plus profondément dans la peau que ceux des tatouages récents.


- Des couleurs récalcitrantes. Tous les pigments ne pénètrent pas au même degré dans le derme. Certaines couleurs plus complexes, comme le jaune, le mauve, le bleu aqua et le vert, nécessiteront un traitement plus long.


- Un long processus. La démarche exige patience et endurance : les traitements sont normalement espacés de six à huit semaines pour laisser le temps à la peau de se remodeler avant de la traiter de nouveau.


- 10 fois plus cher qu'un tatouage. Côté coûts, on doit s'attendre à ce que la facture excède le millier de dollars. Par exemple, un petit tatouage (de la grosseur d'une carte de crédit) qui a coûté 150 $ pourrait exiger approximativement 10 traitements à 150 $ la séance.12


Et les tattoos demain ?

Déjà, vient d'apparaître au Japon une nouvelle forme de tatouage: le « tatouage négatif ». Il s'agit d'un tatouage à la poudre de riz, qui n'apparaît qu'à certaines occasions. Lors d'excitation, d'un bain chaud, ou sous l'effet de l'alcool, le tatouage se teinte alors en rouge. En japonais c'est le « kakushibori » qui veut dire « tatouage caché ».



Épilogue

Il sera certainement intéressant de voir où les tatouages se dirigeront à l'avenir et comment les gens développeront cette forme d'art intrigante. Aurons-nous des tatouages aux couleurs changeantes qui correspondent à nos humeurs ? Et des tatouages numériques qui nous permettront de surveiller notre santé ou notre bonheur. Peut-être des tatouages holographiques tridimensionnels ? Des tattoos qu’on voit juste la nuit, d’autres n’étant vus que par certains climats, certains éclairages. Et, pourquoi pas, des tatouages que seul l'amour fait apparaître.


Seul l'avenir nous le tatouera.

 

Merci aussi à ceux qui n’ont pas lu.

 

RÉFÉRENCES


Cliquez les images pour les agrandir

1

Dictionnaire Antidote


2


3


4

L'Express

5


6


7

Maximiliano Jose Grebe Cabrera, Mémoire de maîtrise à l’UdeM 2018.


8


9


10

Mariette Julien

La professeure Mariette Julien, l’UQAM, qui a notamment coécrit Éthique de la mode féminine (PUF).


11

Stéphane Baillargeon - Le Devoir, 27 août 2019


12

Isabelle Morin - La Presse, 2 avril 2016


13


 

Compléments d’information




Le Monde,


The Style Up


Tattoo-Journal



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